The house that grows
Le dialogue constant avec la nature constitue le fondement culturel des civilisations d’Alula.
Ici, le paysage est sublimé par la rencontre entre l’architecture et l’épaisseur des matières minérales, l’ocre du sable, le jaune et le rouge des roches de grès, et le noir du plateau volcanique.
Dans la plaine d’Hegra, les émergences rocheuses représentent les figures architecturales iconiques des nabatéens d’Alula. Des masses de grès polymorphes, protectrices des esprits nabatéens, émergent comme des figures mythologiques pétrifiées.
Le mode de vie des Nabatéens à l'apogée de leur gloire (l'importance du clan, de sa fierté et de son honneur) a conduit à un ensemble architectural spécifique reflétant en partie leur structure sociale. Par exemple, Le Majlis, l’espace que les archéologues contemporains appellent aujourd'hui « Triclinium », permettait le rassemblement de grandes confréries à des fins tant religieuses que sociopolitiques. Son implantation et son orientation sont précisément définies selon la vue et les éléments climatiques.
Chez les nabatéens, vie et mort coexistaient dans le même complexe d'un même clan : la tombe, le sanctuaire, le triclinium et les thermes.
Tailler dans la roche, surtout en hauteur, était un défi, et donc un luxe. Amener l'eau à ces hauteurs l'était encore plus.
Une parcelle exceptionnelle
La parcelle sur laquelle nous intervenons se situe au Nord-Est du village de Qaraqir, au Sud de Hegra, dans un périmètre où le masterplan envisage la création d’un village troglodyte.
Notre site est constitué de deux rochers séparés par une faille orientée dans la direction de Hegra au Nord et donnant sur l’oasis de Qaraqir au Sud.
Les masses rocheuses du site forment les totems de Qaraqir. Elles sont visibles depuis tout le village et la route qui les contourne.
Notre parcelle n’est pas un sol mais un ensemble rocheux. C’est une situation extrême et singulière. Elle appelle l’imaginaire à réinventer les modes d’habiter, tout en empruntant l’esprit du défi des nabatéens.
Habiter la masse
Afin de préserver au maximum le vide de la parcelle et le skyline des rochers, véritable repère pour les habitants de Qaraqir, nous avons décidé de dissimuler la maison dans la roche, creuser la masse pour générer des cavités habitées. L’habitat troglodyte est un archétype puissant. Comme le dit Gaston Bachelard, « La caverne est un refuge dont on rêve sans fin. Elle donne un sens immédiat au rêve d’un repos protégé, d’un repos tranquille. »
Habiter les horizons
L’émergence de la roche offre une formidable opportunité pour s’élever dans le ciel. Être à l’écart de la civilisation offre un moment de recueillement. Tout en haut, le temps s’arrête. Depuis le cœur de la roche, les ouvertures en façade cadrent le paysage et les horizons. L’oasis au Sud et la plaine d’Hegra au Nord sont deux paysages emblématique d’AlUla vers lesquels le regard se dilate. En haut, on est hors du temps, on habite les horizons.
Scénario d’excavation : Une maison qui pousse comme ses habitants
L’excavation de la maison emprunte la poésie et les caractéristiques des carrières de pierre, notamment sa temporalité : L’extraction d’une carrière est lente et s’étale sur plusieurs années. Il nous a paru évident d’intégrer au concept de la maison, la question du temps et de l’évolutivité de l’habitat.
Ainsi, le vide intérieur, véritable corps de la maison s’agrandit d’année en année. La maison pousse à l’image de ses occupants. La famille grandit, la maison aussi.
Une esthétique d’excavation
L’esthétique d’une carrière de pierre, diffère selon le processus d’excavation mis en place.
Ici, l’excavation de la roche se fait en deux temps en prenant en compte la nature et la morphologie de la roche.
La phase 1 correspond à un aplanissement vertical et horizontal pour chaque cavité, de manière à les aligner sur une même hauteur de base.
La phase 2 est celui de l’excavation de la cavité vers l’intérieur de la roche.En observant de près le rocher, on comprend qu’il est constitué par strates de sédimentation selon un processus lent et plurimillénaire. Certaines de ces strates ont une forme étrangement géométrique constituée d’une succession de plis dans le creux d’une brèche horizontale. Ce relief angulaire et facetté, formé en creux sur une strate horizontale, dessine un fort contraste avec les courbes et les microcavités organiques de la roche. Notre excavation s’inspire de ces formes géométriques et dessine une autre strate horizontale dans l’architecture complexe et organique de la roche.
Un pont comme dispositif d’approche
Le rocher abritant l’habitat est en proue de la formation rocheuse, séparée par une faille du corps principal. Nous avons cherché à mettre en scène le parcours d’accès depuis le sol en créant un dispositif d’approche.
L’ascension est positionnée sur le rocher en face, à l’intérieur de la faille. Arrivé en haut, le visiteur emprunte un pont vers le rocher contenant l’habitat. La traversée de la faille est une véritable mise en scène. Elle offre une approche lente et cinétique vers la maison.
Le pont est incliné représentant ainsi la dernière séquence de l’ascension. Il offre également un point de vue ouvert vers le Sud, sur l’oasis de Qaraqir et un cadrage au Nord, vers l’horizon de la plaine d’Hegra.
De l’autre côté du pont, la maison offre une grande ouverture en signe d’accueil. Ici la porte est toujours ouverte.
« La grotte est la demeure sans porte … La dialectique du refuge a besoin de l’ouverture.
On veut être protégé, mais on ne veut pas être enfermé. » (G. Bachelard)
La matière excavée
Une fois le tablier du pont construit en béton armé, nous démarrons l’excavation. A l’image d’une carrière, la matière excavée sera mise au service de diverses constructions. Une partie servira à parfaire le projet : finir la modénature du pont et de la colonne d’ascenseur ; construire l’émergence au sommet et les finitions intérieures. Le reste de l’extraction, représentant la majeure partie, sera à disposition des projets d’extension de Qaraqir.
Une conception bioclimatique
L’étude morphologique selon le processus décrit plus haut nous a permis de concevoir un projet bioclimatique en tenant compte des flux d’air générés par les vents et les cavités traversant, creusées dans la roche. Par ailleurs, l’inertie des épaisseurs minérale permet de maintenir la température constante à l’intérieur de la roche.
« Dans ces cavernes, comme par un poumon, la montagne respire. Les souffles intérieurs disent la respiration du grand être terrestre. » (G. Bachelard)
Aménagements intérieurs évolutifs et nomades
A l’intérieur, le vide s’agrandit d’année en année. L’aménagement se doit d’être adaptable et flexible. La première année, on vit dans une seule grande pièce. L’année suivante, une chambre est creusée. L’année d’après, une cuisine, etc.
C’est pourquoi le mobilier doit être léger et migrer d’espace en espace chaque année.
Processus de conception et outil de représentation hybride
Nous avons inventé un processus de recherche morphologique spécifique et totalement adapté au contexte du projet. L’un des enjeux principaux de notre méthodologie de travail est de créer une architecture dédiée et enracinée dans le territoire où elle se situe.
Pour cela nous avons créé un outil de conception spécifique formé d’allers-retours entre la maquette physique et minérale, et le processus numérique.
Temps 1 : Apprivoiser les rochers
A la manière des nabatéens, nous avons tenté avant tout, d’apprivoiser nos rochers, de comprendre leurs orientations par rapport aux flux d’air et au soleil, d’analyser leur morphologie. De relever les points de vue générés depuis les hauteurs.
Pour cela nous avions besoin de comprendre parfaitement le relief, de l’ausculter comme un objet archéologique. Les documents annexés au programme du concours n’étaient pas suffisants pour faire un relevé précis du rocher. Difficile de concevoir un projet intégré sans d’abord voir le rocher, sans appréhender ses reliefs, sa morphologie.
Nous avons alors décidé de nous rendre sur le site et de photographier le rocher de tous les côtés.
Temps 2 : Reconstitution des rochers
Grace aux photographies, nous avons essayé de reconstituer le rocher au plus près de la réalité. La maquette obtenue n’est pas parfaitement conforme au rocher réel. C’est une interprétation à partir un ensemble photographique. Mais comme nous sommes dans un cas d’étude, nous assumons à ce stade que la maquette soit une interprétation du rocher, sans être parfaitement conforme à la réalité.
Cette maquette a constitué le point de départ de la morphologie du projet. Nous l’avons ensuite scanné en 3D. Ce document nous a permis de comprendre la complexité des formes du rocher, d’étudier les flux d’air et l’aérodynamique de la paroi, de comprendre les ombres générés par la course du soleil afin de creuser astucieusement les cavités, orientées selon les points de vue privilégiés sur le territoire
Temps 3 : Impression en 3D
Une fois l’ensemble des cavités créées par l’outil numérique, nous les avons imprimés en 3D et introduits dans la maquette. Le rocher avec le projet intégré a été à nouveau scanné afin d’obtenir le fichier 3D final.
Projet
The house that grows
Lieu
Alula, Arabie Saoudite
Marché
Privé
Surface
450m²
Équipe
Projectiles, architecte (mandataire)
Terrell, BET
Maîtrise d'ouvrage
The Royal commission for Al-'Ula (Rcu) & Afalula
Phases
Concours
©Projectiles
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