Hot patat ball ou le Nimby ball
Auteur, Joachim Le Pastier
Le lieu unique, Nantes - 2011
L’atelier est invité à proposer une installation artistique pour la triennale de l'Estuaire, manifestation estivale d'art contemporain créée par l'équipe du Lieu unique à Nantes.
Transformons l’embarrassant jeu de la patate chaude en discipline olympique !
Pour pratiquer cette discipline, il ne faut pas une excellente technique, ni une grande dextérité. Il suffit de renvoyer la balle partout, mais surtout pas chez soi, sans réellement savoir où elle va et simplement espérer un peu de chance.
Il se joue sur une grille de neuf carrés (définis par neuf drapeaux de pays disposés en 3×3) séparés par des filets adjacents (de même hauteur que ceux de badminton). Ce terrain tramé est ceinturé d’une structure tubulaire, un échafaudage soutenant une coursive périphérique d’où les spectateurs peuvent admirer la partie en surplombant les joueurs. En position de surveillance, c’est l’arbitre qui lance la balle au milieu de la grille. Les joueurs doivent les renvoyer, chez l’un de leurs “pays voisins” (peu importe que la destination soit volontaire ou non, que le geste soit élégant ou non).
La partie s’arrête quand il n’y a plus de balles. Le joueur qui en a le moins gisant sur son terrain est celui qui a gagné la partie.
Le terrain prend donc l’aspect d’une structure monolithique et géométrique en trois dimensions, où se répondent les contrastes du métal, des filets (renforçant les effets de moirage et de brouillages visuels entre les joueurs) et des drapeaux chamarrés (le sol de chaque terrain individuel est peint aux couleurs d’un pays).
Un tel sport n’a donc rien de sophistiqué, mais il peut produire des résultats totalement inattendus. C’est un sport de pur réflexe dont toute stratégie, tout calcul est absent. C’est le plus adroit, le plus spontané, le plus prompt à renvoyer la balle d’où qu’elle vienne, qui remporte la mise. Le hot-patat-ball porte en lui une indéniable dimension burlesque car le public s’amuse aussi de la perte des repères des joueurs (chacun ayant huit adversaires, il est bien difficile, voire impossible, d’anticiper et de lire à l’avance le jeu de chacun). Le public en sait plus que les joueurs et, comme au guignol, il est même invité à donner des informations aux joueurs, à les prévenir d’une attaque imminente.
Comme tout sport, le hot-patat-ball suscite la métaphore. On peut y voir la mise en application d’un paradoxe. Dans cette proximité physique de joueurs, condamnés à jouer chacun leur partition, au risque de la cacophonie, on peut y voir la traduction, en corps et en mouvements, d’un individualisme persistant au sein d’une structure collective. On peut même y lire une déclinaison absurde et bouffonne de l’improductivité de l’idéologie « nimby » (« not in my backyard », « pas de ça chez moi ») qui refuse la concertation et entrave bon nombre de projets d’aménagement. Mais plutôt que de la dénoncer, nous préférons simplement nous en amuser et espérer qu’elle puisse donner lieu à de belles acrobaties. Soyons sport !